Concevoir une série de livres et définir une date de sortie
Solaris est l’un de nos souscripteurs sur la campagne Dearg. Voici un extrait de son dernier message :"Bonjour
Sans vouloir polémiquer, le maximum aurait été de se concentrer sur Dearg avant d'attaquer d'autres projets afin de clore ce "malheureux chapitre".
Bien sûr, la qualité sera au RV et vous êtes des passionnés, mais ça n'excuse pas tout. Des gens ont cru en vous et demande en contrepartie votre "rigueur". [...]"
Son intervention me donne l’impulsion pour mettre en ligne un petit article à propos de la conception d’une gamme de jeu de rôle et la question du calendrier. Je le ferais sous forme de lettre ouverte :
- - - - - - - - - - - - - - -
Cher Solaris,
Tout d’abord, merci pour ton message. Les quelques points d'expérience acquis au travers du projet Esteren - parfois dans la douleur - m'ont permis d'affiner ma perception des enjeux que je crois déceler dans ton message. Je vais essayer de partager avec toi ce retour d’expérience.
On pourrait penser qu’une gamme de livres de jeux de rôle se crée ouvrage après ouvrage, l’un après l’autre : un livre est terminé ; il va chez l’imprimeur. Puis l’équipe se met à travailler sur le suivant. Etc. Dans cette optique, en commencer un nouveau alors qu’un précédent n’est pas terminé et a été promis – et payé par les lecteurs via le financement participatif – apparaît inexcusable. Mais les choses ne se passent pas comme cela. Une image devrait rapidement te faire comprendre notre expérience de la chose. C'est la meilleure façon que j'ai trouvé de te transmettre mon expérience. Elle ne concerne que nous et révèle sans doute nos faiblesses mais elle a au moins le mérite de bien résumer la situation :
Comme tu peux le vois, plusieurs chantiers évoluent simultanément. Chaque projet part d'un même point mais prend des directions différentes. Imagine juste que ce graphique ne représente qu'une seule partie des projets concernés par la gamme des Ombres d'Esteren. La création a moins la forme d’une ligne que d’une étoile dont les branches vont parfois se rejoindre à la manière d’une toile d’araignée. Dans notre cas, on pourra même dire que la toile d'araignée a une forme très étrange ! Les choses se compliquent encore quand on pense que l’avancement d’un livre peut mettre en cause une autre création antérieure qui devra être mise à jour. Tel livre interagit avec un autre et le transforme. Ce phénomène est accentué alors même que plusieurs auteurs travaillent en même temps. Au final, on ne sait pas quand un projet va arriver à terme.
Ce phénomène a néanmoins un effet positif inattendu : il permet au projet de survivre à « l’incident Dearg ». Si toute l’activité avait dû s’arrêter tant que ce fameux livre n’était pas sorti, le projet Esteren n’existerait plus aujourd’hui. Sans aucun livre arrivant à terme entre 2013 et aujourd’hui, il est clair que le projet serait mort. Que doit-on en penser ?
Évidemment, tout créateur doit prendre ces phénomènes en compte car depuis quelques années, un élément vient de changer la donne : le financement participatif. Il faut bien juger du moment où l’on va demander l’argent à la communauté pour financer un projet. Un temps de création trop long ou le fait que d’autres projets sortent dans l’intervalle peuvent être mal compris. Il ne s'agit pas de choisir cette date comme on pourrait lancer une fléchette quelque part sur cette toile d'araignée...
Enfin, j’aimerais aborder la question de la rigueur. Oui nous sommes des passionnés, et non, ça n’excuse pas tout. Au contraire. Je me suis lourdement trompé sur le calendrier et je m’en excuse encore aujourd’hui. Auprès de toi et auprès de tous nos souscripteurs. Lorsque j’ai décidé d’ajouter un cinquième épisode à ce livre - qui passera de 250 à 350 pages au total et ce qui aggrave d'autant le retard - était-ce une décision motivée par la rigueur ou la passion ? Dans le monde qui est le nôtre, avoir le temps de bien faire les choses est un luxe. Nous le payons au prix fort mais j'ai la conviction que cela paiera sur le long terme. Mais peut-être que je me trompe.
Cela me fait penser à une anecdote : j’ai rencontré récemment le directeur de collection d’une grande maison d’édition. Nous discutions de la question du calendrier. Il m’a expliqué que la date de sortie d’un roman était élaborée quand le manuscrit était terminé et validé. Et certainement pas avant. Hélas, lorsque j'ai estimé la date de sortie du livre Dearg, quand bien même la rédaction était avancées, elle n'était pas terminée. Avec le recul et les quelques expériences traversées, je ne peux qu'interpeller mes confrères auteurs et éditeurs sur le sujet. J’aurais aimé le comprendre plus tôt ! Maintenant, je ne peux qu’espérer que mes lecteurs, dont tu fais – ou faisais partie Solaris – fasse preuve d’une certaine bienveillance à mon égard.
Bien à toi,
Nel
Bonjour Nel,
RépondreSupprimerLa bienveillance reste de mise tant la qualité a jusque là prévalu. Je continue de te, de vous, faire confiance car ce qui a été produit auparavant a mis la barre bien haut. Et là est peut être le coeur du problème. Tu as voulu une gamme de haut niveau sur tous les points : l'univers, ses règles, ses illustrations, ses différentes expressions avec le souci de repousser les limites. Dans le cas de Dearg malheureusement quand je vois ton schéma d'édition force est de constater qu'à un moment on a l'impression que çà part un peu dans tous les sens. Certes cela enrichit le produit mais parfois ne vaut mieux t-il pas savoir dire stop pour sortir le produit quitte à sortir ensuite un complément ? Voire de se contredire dans d'autres produits à venir ?
Bref ma crainte est que ce projet qui sera je n'en doute pas une très belle réussite nous coutera peut-être la suite car les fans resteront mais ce n'est qu'une partie de votre lectorat... Est-ce que les déçus reviendront ? Toute la question est là !
Avec toute ma bienveillance et encore merci pour cette gamme juste magique !
Erwan